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The Doors : « Other Voices / Full Circle » (1971/1972)

June 1, 2013

Il y a des vérités parfois difficiles à admettre, mais c’est comme ça, chaque musicien qui part emporte avec lui un peu de nos souvenirs d’enfance. C’est avec beaucoup de tristesse que l’on a appris la disparition de Ray Manzarek, clavier des Doors, survenue le 20 mai dernier. Les Doors ont rythmé mon adolescence, pour une raison toute bête, le film (pas très bon d’ailleurs à la revoyure) que leur a consacré Oliver Stone. Je ne compte plus, tellement ils sont nombreux, les souvenirs associés à l’écoute de leurs albums, la cantine scolaire, le trajet vers l’école, les morceaux appris pendant les cours de guitare, l’unique fois ou j’ai enfin vu le duo Ray and Robby en concert au Bataclan, tout ça, tout ça… Je me souviens encore de l’ado qui rêvassait en cours la musique plein la tête. Et puis il y a aussi le fait que la musique des Doors a toujours été cet endroit un peu à part où nous, les cœurs éplorés, les parias de toute sorte pouvions nous retrouver, comme le chantait Jim : « People are strange when you’re a stranger, nobody remembers your name, when you’re strange »…

Sans vouloir faire offense aux deux survivants du groupe (le guitariste Robby Krieger et le batteur John Densmore), le clavier de Ray Manzarek était la pierre angulaire musicale des Doors, on pourrait citer en vrac les intros, très originales, de « Light my fire » ou d’ « Hello i love you », le swing boogie de « Roadhouse Blues » ou l’ambiance crépusculaire de « Riders on the storm » toutes nées des touches magiques du grand Ray. Et encore il ne s’agit que de quelques exemples. Pour l’heure, revenons sur un aspect plutôt méconnu de la carrière des Doors, celle du début des années 1970 et des deux premiers albums sortis après le décès de Jim Morrison. Peu évoqué, un peu comme si il incarnait une suite honteuse, ce chapitre de la discographie des Doors mérite pourtant le détour.

Sorti en décembre 1971, quelques mois seulement après le décès de Jim (survenu le 3 juillet de la même année) « Other Voices » est le premier disque des Doors en trio, sans Jim. Son ombre plane sur ce disque, et son absence se fait particulièrement sentir, comme le titre l’indique, il s’agit de mettre en avant d’ « autres voix », en l’occurrence celle de Robby Krieger et de Ray Manzarek qui se partagent les vocaux et tentent tant bien que mal de combler le vide. Musicalement l’album tient largement la route et même réduit à l’état de trio le groupe est loin d’être ridicule. Evidemment la comparaison avec les chefs d’œuvres antérieurs du groupe peut s’avérer cruelle. Cependant citons malgré tout l’épique « Ships w/ sails » (sept minutes environ), un mini « Riders on the storm ». C’est un peu le problème de ce disque, c’est un album des Doors, sans aucun doute, mais avec un bémol. Tout est un cran au dessous des standards habituels du groupe. La remarque vaut également pour le blues « Tightrope ride », qui rappelle  “Roadhouse blues”, très décent mais moins marquant.  La pièce ne manque cependant pas de bons moments et les fans du groupe y trouveront leur compte.

La dégringolade se poursuivra l’année suivante avec « Full Circle » sorti en septembre 1972. Le groupe se retrouve comme coincé dans une zone grise, la mode change et mine de rien le trio commence à être dépassé. D’un autre côté, les succès des Doors ne sont pas très anciens, le décès de Jim est encore trop récent pour que les trois survivants puissent être considéré comme un groupe classique. Pas encore culte en résumé. Le groupe tente de suivre le courant et adopte une ligne de conduite Pop FM plus rythmée. Aujourd’hui encore il paraît complètement improbable d’imaginer Jim Morrison chanter « Get up and dance », son absence est plus criante que jamais. Le trio touche presque le fond avec « The Mosquito », dont la production a bien mal vieilli, les synthés de Manzarek n’ont jamais été aussi kitsch, l’affaire est pourtant sauvée, comme par miracle, par la jam finale. Le groupe se débat vaillamment au milieu des éléments contraire et réussi à tirer son épingle du jeu. C’est encore une fois le blues qui sauve la mise, « Verdilac » et son solo de sax hyper free jazz ; « Hardwood Floor », « Good rockin », « It slipped my mind ». Dernière plage du disque « The peking king and the New York King » sonne comme un adieu, un dernier tour de force dépassant les six minutes. Un dernier festival avant d’éteindre la lumière, un peu comme si on avait gardé le meilleur pour la fin. En dépit de ses points faibles, « Full Circle » mérite pourtant d’être écouté.

Après la sortie de cet album, le groupe entamera un long hiatus et se retrouvera pour la dernière fois en studio et en trio en 1978 pour l’enregistrement d’ «An American Prayer » un album composé autour des lectures de poésie enregistrées par Jim Morrison. Après deux décennies de séparation, Ray Manzarek retrouvera Robby Krieger et relancera le groupe (ou plutôt ce qu’il en reste) sous différents noms : Riders on the storms, Doors of the 21st century, Ray and Robby, travaillant avec des chanteurs d’appoint (parmi eux citons Ian Astbury de The Cult). Le duo était encore sur scène au Trianon en juillet dernier

Alors que vient le moment de mettre un terme à cette (longue) chronique, on peut s’empêcher de s’imaginer une dernière fois la scène. 1966, c’est le début de l’été. L’école est finie, il faut maintenant faire le grand saut vers le passage à l’age adulte. Que vais-je faire de ma vie ? C’est la question que se pose Ray Manzarek, assis sur le sable de la plage de Venice Beach, quand il retrouve par un (heureux) hasard son vieux pote d’université Jim Morrison. Ce dernier commence à lire un poème de sa composition qui deviendra ensuite la chanson « Moonlight Drive ». Ray and Jim. Les deux potes désormais réunis pour l’éternité. Rest in Peace.

 

 

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