Confronté à la violence familiale, Blind Willie Johnson n’est pas né aveugle, mais l’est devenu à cause de cette dernière. Un exemple typique du pré war blues, autant qu’une anomalie, Johnson, formé au gospel sur les bancs de l’Église et croyant, ne souhaitait pas spécialement s’adonner à la musique du diable. C’est pourtant dans ce registre ou sa voix puissante et son chant guttural profond, pour être entendu dans la rue et de loin, fait merveille, accompagné d’un simple guitare slide, instrument dont il est une autorité. Ce vinyle sublimement illustré par Jean-Luc Navette reprend la légendaire session du 3 décembre 1927 à Dallas, pour laquelle l’artiste fut rémunéré 50 dollars par le label Columbia Records. On y retrouve notamment « Dark was the night, cold was the ground », titre au râle puissant et évocateur, dont la dramaturgie a valu sa renommée au musicien. La face B du vinyle se partage entre pièces enregistrées en 1928 (toujours en décembre, le 5) et 1930 en compagnie de Willie B. Harris. Bien que datée, forcément, la musique de Blind Willie Johnson n’a rien perdu de sa force évocatrice. Près d’un siècle plus tard, son râle guttural semble toujours porter en elle l’engeance du plus profond des enfers.
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