musique bibliothèque

Nirvana : « Live and Loud » (1993)

January 18, 2020

Soyons honnêtes, sachant ce que l’on sait et, surtout, comment l’histoire s’est tragiquement terminée un matin d’avril 1994, il n’est jamais évident, ni anodin, d’évoquer Nirvana. Comme si le destin cruel de son leader Kurt Cobain chargeait la musique d’une douloureuse couche supplémentaire, discrètement perceptible, derrière le mur de guitares saturées et les cris désespérés du chanteur. Et pourtant Nirvana occupe une place fondamentale dans l’histoire du rock, groupe qui a lui seul gommé les excès ridicules du heavy « hair » métal des années 1980 (allez, on peut le dire Guns’n’Roses et Mötley Crüe c’était ridicule) et renoué avec un certain idéal rock fait de cris, de saturations rageuses et de sueur ; un truc dangereux prolongeant la lignée entamée par les Stooges et enterrant définitivement la provocation de pacotille, calibrée pour MTV, dans laquelle le rock s’était embourbé dans les années 1980. Nirvana incarne aussi, à son corps défendant, la fin d’une époque, celle des rock stars (un statut dont Kurt Cobain aura bien du mal à s’accommoder) faiseurs de tubes, déclencheurs de modes vestimentaires, sur la seul foi d’un ampli à fond crachant les décibels à la face d’un monde médusé. Après eux il y aura Oasis, peut-être les Strokes dans une certaine mesure, mais le soufflé est bel et bien retombé depuis.

Le disque (qui dans sa version vinyle est accompagné d’une carte de téléchargement en forme reproduisant le pass VIP d’origine) qui nous occupe aujourd’hui, « Live and Loud », n’est pas vraiment un album à proprement parler mais la bande-son d’un concert enregistré pour le compte de MTV (c’est ce MTV là dont on est nostalgique aujourd’hui) le 13 décembre 1993 en vue d’une diffusion pour le soir du réveillon, le 31. Un concert qui, à l’époque, n’avait pas bénéficié d’une sortie sur disque. En ce début des nineties, Nirvana est intouchable, au sommet de son art, le groupe plane au-dessus de la mêlée. Renforcé par le guitariste Pat Smear, le trio de base trouve une assise supplémentaire dans l’impressionnant mur de guitare, dans la rage qui l’habite, mais qui renforce aussi la dimension expérimentale d’un groupe qui n’a jamais caché son admiration pour Sonic Youth (cf. la distorsion bruitiste qui ouvre les débats « Radio Friendly Unit Shifter » ; et celle de “Endless Nameless” qui clôt le disque). Ce soir là, sur sa terre natale de Seattle, le groupe est en forme, prêt à en découdre devant les caméras. La frappe du batteur Dave Grohl est impressionnante, de force, de précision, et propulse littéralement le groupe. Le bassiste Krist Novoselic est à l’avenant jouant à merveille du son distordu. Présente sur quelques titres, la violoncelliste Lori Goldston apporte une note inattendue, intimiste, mélancolique, et met en valeur les mélodies (cf. « All Apologies ») dans la continuité de la session unplugged enregistrée un mois plus tôt en novembre 1993. Mais le facteur le plus troublant reste le chant écorché et fébrile de Kurt Cobain, empêtré dans la came, criant sa douleur du fin fond de ses cordes vocales à la face d’un monde incrédule. Moins de six mois plus tard, ce dernier sera retrouvé sans vie et l’histoire sera belle et bien terminée.

Share

You Might Also Like

No Comments

Leave a Reply

*